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Samih Sawiris

Amoureux de la mer, du désert – et d’Andermatt

Samih Sawiris est un grand investisseur, un milliardaire et un bon vivant. Il a transmis les rênes de son empire touristique à son fils aîné Naguib, mais rien n’a véritablement changé pour lui. Il profite d’autant plus intensément de la vie dans le désert et en mer. Et Andermatt est devenu pour lui une véritable affaire de cœur.

PAR KARL WILD

Il y a treize ans peut-être que j’ai rencontré Samih Sawiris pour la première fois. Une limousine sombre m’attendait devant l’hôtel Storchen, luxueux établissement zurichois à proximité duquel il possède un splendide appartement mansardé. Au volant se trouvait Franz Egle, un proche de Sawiris, ex-conseiller auprès du Conseil fédéral et conseiller en relations publiques. Ensemble, nous nous rendons à Andermatt pour visiter quelques chambres témoins du The Chedi, alors en construction. «J’ai fait de grandes promesses à la population locale et mon engagement est donc d’ordre émotionnel», explique Sawiris. «Pour le projet d’Andermatt, le seul résultat envisageable est le succès».

A la dernière de nos nombreuses rencontres, nous avons longuement dîné à l’hôtel The Chedi. L’homme est d’un naturel décontracté, mais je ne l’avais encore jamais vu à ce point détendu. Il rentrait tout juste d’un voyage dans le désert d’Arabie saoudite. «Il y a quelque chose de toujours fascinant à découvrir des contrées où personne n’est jamais allé», dit-il. Pour lui, les expéditions dans le désert sont sacrées. Depuis longtemps, il consacre une semaine, deux fois par an, à parcourir les déserts d’Oman ou d’Arabie saoudite, d’une oasis à l’autre. Il passe également deux à trois mois par an sur son bateau, à sillonner les mers. Jamais il ne pourrait s’imaginer rester dix jours d’affilée à New York. «La vie en mer est fabuleuse, et si l’on est pris dans un ouragan, cela devient extrêmement excitant».

Sawiris a de bonnes raisons d’être si relax. Les derniers chiffres du groupe Andermatt Swiss Alps viennent d’être publiés et ils sont excellents. Le taux d’occupation des hôtels The Chedi et Radisson Blu atteint un niveau record, les ventes immobilières encore plus. Depuis le lancement du projet en 2007, Sawiris a investi 1,3 milliard à Andermatt et il est plus que satisfait des résultats obtenus. Le plus surprenant pour lui, c’est que The Chedi lui rapporte de l’argent. «J’ai construit cet hôtel prioritairement pour faire connaître Andermatt», ditil. Un investissement de 300 millions de francs. A elle seule, la vente de biens immobiliers dans la station a déjà rapporté à l’homme d’affaires plus du double de ce montant.

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Depuis 2007, Samih Sawiris a investi 1,3 milliard de francs à Andermatt

Beaucoup d’envieux et des fake news

L’entreprise indépendante de conseil en immobilier Savills classe désormais Andermatt dans le top 5 mondial des meilleures stations de ski et «Times Travel» a désigné la destination comme le leader des domaines skiables suisses. Des annonces qui enflamment d’autant plus les envieux et les esprits grincheux qui n’ont jamais pris le projet d’Andermatt au sérieux. Les mêmes voix critiques se sont à nouveau fait entendre lorsque la société Andermatt-Sedrun Sport AG a conclu un partenariat stratégique avec Vail Resorts, leader mondial des domaines skiables. Le groupe américain a en effet acquis une participation de 55 pour cent dans Andermatt-Sedrun Sport AG.

Le montant de la transaction, 149 millions de francs, sera intégralement réinvesti dans le développement de la destination. Quand on insinue que cette vente partielle n’a servi qu’à l’enrichir, Sawiris secoue la tête: pas un franc du montant de la vente ne lui revient. L’objectif était d’accélérer la construction, ce qui est désormais possible. «Si j’avais voulu de l’argent, j’aurais vendu The Chedi et le Radisson Blu», déclare-t-il. «Ajoutez-y les pistes de ski, de nombreux terrains et l’immobilier, tout cela aurait pu me rapporter un milliard».

 

«J’achète toujours des terrains dont personne ne veut»

Autre projet à suivre, la presqu’île d’Isleten, sur le lac d’Uri, où Sawiris possède 180’000 mètres carrés de terrain. L’investisseur souhaite submerger le site désaffecté d’une ancienne usine d’explosifs. Dans la baie artificielle ainsi créée, il prévoit l’aménagement d’un port de plaisance, d’un hôtel 3 ou 4 étoiles de 50 chambres, des restaurants, commerces et 100 appartements hôteliers; avec cinquante nouveaux emplois à la clé. Le gouvernement uranais, qui a accordé l’année dernière à Sawiris la citoyenneté d’honneur pour l’ensemble de ses accomplissements à Andermatt, est en faveur du projet. Mais qu’arrivera-t-il si celui-ci ne se concrétise pas? «Dans ce cas, je vendrai le terrain à ma fille et elle s’y fera construire une villa», sourit Sawiris.

L’une de ses grandes forces c’est de toujours parvenir à impliquer les politiques à un stade précoce, tout en répondant aux exigences et aux objections des défenseurs de la nature et de l’environnement. Autre principe de base, acheter des terrains dont personne ne veut, à l’image d’El Gouna, exemple révélateur: il y a près de trente ans, lorsque Sawiris acquit un terrain au cœur du désert égyptien, au bord de la mer Rouge, avec l’intention d’y bâtir une ville, même son père le prit pour un dingue. Aujourd’hui, force est de constater qu’El Gouna est un projet phare très applaudi, qui affichait même complet pendant la pandémie de Covid. Un scénario qui s’est répété dans les neuf pays où Sawiris est présent avec Orascom, son empire touristique. A Andermatt, il a acheté un immense terrain à l’armée, à un prix très avantageux. «Construire là où personne ne veut construire est un gage de tranquillité», dit Sawiris. «Nul besoin de faire des compromis ou de lutter contre la concurrence. Il prend le temps aussi. «Si un projet n’est pas rentable de suite, je sais me montrer patient. D’autres investisseurs veulent voir l’argent rentrer immédiatement et tendent à paniquer si cela n’arrive pas. Un cercle vicieux, à son avis, qui met sous pression. «Certains tentent alors de nous influencer, ce qui nous rend vulnérables et forcés de prendre des décisions non souhaitées».

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Sawiris, quelque peu réfractaire à la cravate

Ce qu’il faut pour devenir multimillionaire

Pour Sawiris, le business est bien plus qu’une activité permettant de gagner de l’argent. C’est une passion. «Je ne pourrais jamais faire quoi que ce soit si le plaisir n’y est pas», explique-t-il. «Celui qui n’est mû que par l’appât du gain n’a aucune tranquillité d’esprit, il est fini. A partir d’un certain palier, il faut raison garder». Un palier qu’il a fixé à 100 millions de francs. «Au-delà, continuer à amasser de l’argent est problématique et il vaudrait mieux se concentrer sur son mental plutôt que sur sa fortune». Sa recette pour atteindre les 100 millions: «60 pour cent de chance, 15 pour cent d’intelligence, 15 pour cent de travail et 10 pour cent de courage».

Sawiris en est convaincu, ce que l’on entend généralement par travail est à relativiser. Ce qu’il n’aime pas par-dessus tout c’est le stress. «J’aime la vie et je n’ai jamais passé plus de cinq ou six heures par jour dans un bureau», dit-il. Travailler avec lucidité sur le long terme implique de ne pas rester trop longtemps entre quatre murs. S’octroyer du temps libre pour prioriser d’autres occupations est essentiel. Sawiris est persuadé qu’être dehors, dans le monde, s’avère nettement plus efficace.

Une opinion que son fidèle ami Franz Egle lui conseilla un jour de ne pas exprimer publiquement, arguant qu’elle serait mal perçue en Suisse. Pour toute réponse, Sawiris lui adressa son doux sourire habituel. Ses amis les plus proches le savent bien, c’est justement pendant ses moments de libre que naissent ses idées les plus brillantes. Et ils ont prédit il y a des années déjà ce dont tout le monde prend conscience aujourd’hui: l’hôtellerie helvétique et le secteur touristique de Suisse centrale en général ont eu une chance inouïe que Sawiris ne soit pas tombé amoureux que du désert et de la mer, mais aussi d’Andermatt.

Avec sa philosophie fondée sur une existence sans stress couplée à une réflexion à long terme, ce bon vivant s’en est très bien sorti. Ce qui l’a aidé de manière décisive dans toutes les situations imaginables et qui est peut-être sa plus grande qualité: une nature gagnante, attachante et intelligente. Sawiris est sûr de lui, mais n’est jamais arrogant ni ne se pose en donneur de leçons. On l’apprécie car il est tel qu’il est.

Il en a toujours été ainsi. Pendant ses études d’ingénierie économique à Berlin, de 1976 à 1980, il ne reçut pas d’argent de son père, Onsi, un entrepreneur égyptien milliardaire. Papa considérait en effet qu’il appartenait à son fils de financer ses propres études. Ce que celui-ci fit avec brio, travaillant en parallèle comme serveur dans les hôtels Hilton et Intercontinental de Berlin. C’est alors qu’il eut la brillante idée de traduire des textes d’arabe en allemand. Et vice versa.

«Je me suis mis à gagner 3’000 marks par mois et vivais comme un prince», se souvient-il. «Je participais à des fêtes, visitai le carnaval de Cologne et pouvais, pour mes standards de l’époque, tout me permettre». Il se souvient de ses années d’études comme «des années incroyablement drôles». «Seul mon père était contrarié, il n’appréciait pas du tout que je gagne autant d’argent». Le fait est que Sawiris tirait déjà son épingle du jeu avant que les traductions ne viennent améliorer son ordinaire. Lorsqu’il voulait assister à un concert de l’Orchestre philharmonique de Berlin, par exemple.

Le prestigieux chef d’orchestre Herbert von Karajan était alors au sommet de sa carrière. Les concerts affichant toujours complet longtemps à l’avance, le jeune étudiant se présentait à l’entrée un quart d’heure avant le début, muni d’une pancarte demandant «As-tu un billet»? «J’ai toujours pu entrer», s’amuse-t-il encore aujourd’hui. Un jour, une dame âgée l’invita à assister à un concert depuis l’une des meilleures places de la salle. Elle lui expliqua en fin de spectacle que son mari était décédé quatre jours plus tôt. La fascination de Sawiris pour l’Orchestre philharmonique de Berlin ne faiblit jamais. Ces dernières années, il a invité à plusieurs reprises l’orchestre symphonique, l’un des meilleurs du monde, à participer au festival de Lucerne, au KKL.

Après l’obtention de son diplôme d’ingénieur à l’université technique de Berlin, Sawiris fonda sa première entreprise, la National Marine Boat Factory, au Caire, devenant ainsi le premier constructeur de bateaux d’Egypte. Plus tard, il fut également le premier viticulteur du pays, avant de se lancer en 1996, avec Orascom, dans la construction et l’exploitation de destinations de vacances, et devenir à son tour milliardaire. Aujourd’hui, il a cédé la barre à son fils aîné Naguib. A 31 ans, celui-ci s’est déjà fait un nom dans la Silicon Valley avec son entreprise en ligne. Il y a trois ans, «Forbes» l’a même classé parmi les 30 meilleurs entrepreneurs de moins de 30 ans.

Le père n’a pas fait que transmettre les rênes à son fils, il a fait de lui le véritable propriétaire de l’empire. Il ne pouvait en aller autrement. «Pour la relation père-fils et pour l’entreprise, il est préférable que la question de la propriété soit réglée». Certes, les gens le contactent encore régulièrement pour discuter d’affaires importantes, «mais je les renvoie tous».

Qu’est-ce qui a changé pour lui depuis le passage de témoin? «Je ne m’endors plus avec l’impression de ne pas en avoir assez fait». Mais le matin, comme tous les matins, il se regarde dans le miroir et se demande: «garçon, quelle est la meilleure façon de passer une bonne journée aujourd’hui?»

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